Puis, à peine la prière musicale terminée, un "Fuck!" exaspéré sort de la bouche d'une des élèves; le premier d'une impressionnante collection de jurons qui constellent ce qui s'avère être un délire irrévérencieux, hilarant et irrésistible.
Our Ladies Of Perpetual Succour est une pièce musicale basée sur le roman The Sopranos adaptée par Lee Hall, l'auteur de Billy Elliot. Elle raconte les aventures des six élèves d'une école catholique de jeune filles qui partent à Edimbourg pour participer à un concours de chorale.
Cette pièce a fait sa première au Théâtre National d'Écosse, avant d'entamer une tournée puis de faire sa première apparition à Londres au National Theatre. Là, elle a rencontré un fort succès de bouche à oreille et décroche l'Olivier Award de la meilleure comédie. Elle se joue désormais dans le West End, au Duke Of York.
Dans cette pièce, rien ne se passe comme prévu, et à travers les désastreuses aventures de ces six adolescentes sont abordés les thème de l'amour, la musique, le sexe, la maladie, la précarité, et bien plus encore.
Le cœur de cette pièce, ce sont véritablement ses interprètes. Les six actrices sur scène, accompagnées par un power trio de musiciennes, débordent de talent, d'énergie et d'une maîtrise digne des plus grands. Chacune va à tour de rôle(s) interpréter une multitude de personnages, changeant d'une seconde à l'autre, s'interpellant d'une réplique à l'autre, et passent aux choses sérieuses quand elles se mettent à chanter.
Le choix des chansons d'E.L.O., un groupe de rock progressif des années 70, peut sembler intriguant pour cette fresque contemporaine et sociale, mais ici on est à des années lumière du charme désuet et kitsch de leur autre comédie musicale, Xanadu. Et quand les filles s'attaquent, dès le début de la pièce, au plus gros hit du groupe, Mr Blue Sky, on comprend vite qu'on est entre de très, très bonnes mains.
Quand elles unissent leur forces dans les numéros de rock, les filles d'Our Ladies sont bien plus convaincantes, honnêtes et féroces que n'importe quel Girl Band jamais assemblé. On se retrouve bouche bée devant l'énergie brute qu'elles dégagent tout en naviguant avec brio les périlleuses vagues des chansons exigeantes d'E.L.O ainsi que la précision totale que demandent les cantiques qui entrecoupent les numéros électriques.
Cela aide bien qu'elles soient accompagnées par un groupe de musiciennes absolument imparables dont le look et le cool rendrait jaloux le plus hip des groupes indie.
Quand au jeu d'acteur, aucun de souci à se faire. Les interprètent se chargent des répliques cinglantes de Lee Hall avec une assurance et versatilité désarmante. On rit beaucoup, souvent devant l'énormité des choses profanées sur scène: ici, pas de censure ni de retenue. C'est grossier, cru et rien n'est embelli: la pauvreté abjecte de certaines, la misère sociale de leur village, où chaque femme et adolescente semble indéfiniment enceinte, et les pères sont indéfiniment absents, les libidos qui se déchainent et les dégoulinantes relations -sexuelles ou non- qui en résultent.
Et quand les actrices interprètent les différents hommes qui parsèment cette histoire, le potentiel comique atteint son apogée: sous nos yeux une succession de paumés, gros loosers, divorcés dépressifs, guitaristes poseurs, drageurs lourdauds, petits vieux et plus encore prennent vie. Un homme jouant une femme au théâtre, c'est vu et revu, des films, des pièces entières reposent sur le travestissement. Mais de voir des femmes s'amuser à interpréter des mecs a quelque chose de jouissif. Les clichés s'inversent et les rires fusent.
Le rythme est croissant tout au long de la pièce, aidé par la longueur (1h40 sans entracte, court pour le West End), on ne s'ennuie pas une seconde et une fois la pièce lancée, les scènes s'enchainent, atteignant parfois les hauteurs d'un joyeux bordel scénique bien délirant, telle la scène où les filles sont sous l'influence d'un psychotrope fort et décident d'allumer des feu d'artifices- en intérieur.
Les décors et lumières, intentionnellement laids, surtout au début de la pièce, puis progressivement malins, laissent la part belle à se qui se passe sur scène, dramaturgiquement, musicalement, et surtout, humainement. Arrivés à la fin de ce voyage, on s'est attachés à ces six destins, ces six personnalités et on est ému par les scènes et chansons finales où après le comique déjanté, la réalité - décevante, compliquée - s'immisce.
On vous recommande de sérieusement réviser votre accent Écossais avant d'y aller (certaines phrases sont incompréhensibles même pour un anglophone confirmé) et de ne pas être prude devant la lame de fond de grossièreté qui se dirige vers vous. Si même la Vierge, supervisant les évènements de son regard bienveillant depuis fond du décor, n'est pas perturbée, alors vous n'avez aucune raison de l'être. Foncez découvrir ce spectacle hors du commun.