Le spectacle avait fait sa première sur Broadway l'année dernière, rencontrant au passage un succès populaire et des critiques positives. D'abord annoncée au Palladium, il a finalement pris sa place au New London Theatre.
Le New London s'avère être un écrin très adapté pour School Of Rock. Batiment brutaliste des années 70, tout de béton, escalators et angles droits, la production a installé des flippers ainsi que des guitares électriques en libre service pour que le public ait aussi l'occasion de se prendre pour de vrais rockeurs. L'auditorium, en arc de cercle, convient parfaitement au décors d'Anna Louizos, et à plusieurs reprises, on a plutôt l'impression d'assister à un vrai concert de rock plutôt qu'à une comédie musicale classique.
Ce synopsis, plutôt loufoque et très invraisemblable, passe pourtant comme une lettre à la poste
Pour ceux qui n'ont pas vu le film, School Of Rock raconte l'histoire de Dewey Finn, Une guitariste raté mais qui ne vit que pour son rêve d'être une star du Rock. Il squatte l'apart de son pote et ex-membre de groupe Ned Schneebly. Il vient d'être viré -sous nos yeux- de son groupe, et de son job. Il n'a aucune source de revenus et Ned, poussé par sa petite amie Patty, lui réclame de payer un loyer. Au fond du trou, il intercepte par hasard un coup de fil destiné à Ned, prof remplaçant de son état: Horace Green, une école privée, a besoin d'un remplaçant en urgence. Dewey, s'apercevant que la paye est de 950$ par semaine, décide de se faire passer pour Ned, et d'empocher le chèque à sa place.
Arrivé sur place, Dewey se retrouve à devoir enseigner toute une classe de gamins de onze ans. Il réalise très vite que les gamins en question ont beaucoup de talent, et savent très bien jouer de la musique classique. Lui vient alors une idée: former un nouveau groupe de rock avec les gamins, pour pouvoir gagner le tremplin Rock local. Tout ça en évitant de se faire repérer par la principale de l'école, Rosalie Mullins, qui surveille chacun de ses gestes.
Ce synopsis, plutôt loufoque et très invraisemblable, passe pourtant comme une lettre à la poste, et ce grâce à des dialogues très bien écrits et un rythme très soutenu. On passe d'une situation à l'autre très rapidement, ce qui nous laisse très peu de temps pour réfléchir à la vraisemblance du scénario. on est bien trop distraits par les vannes que se balancent les personnages et les situations extravagantes qui se déroulent sous nos yeux.
Pour les fans du film, il reste toujours quelques éléments de surprise, car plusieurs personnages et élément ont étés changés ou adaptés pour la scène anglaise. Les références ont toutes étés mises à jour: ça parle de Taylor Swift, de Pokémon Go, mais aussi de féminisme. Et ce point est un vrai soulagement et une amélioration notable par rapport au film, qui ne donnait pas du tout la part belle aux personnages féminins. Principale victime: Patty, la copine de Ned. Comme elle veut que Dewey se trouve un vrai travail, paie son loyer et arrête d'abuser de la confiance de Ned, elle était placée comme la "méchante" du film, alors qu'elle est le seul personnage à avoir un semblant de bon sens dans l'histoire.
Ici, grâce aux changement de points cruciaux, son personnage s'en sort bien mieux: Dans le film, Ned s'émancipait en la quittant, alors que dans le spectacle Ned, et même Dewey, lui donne raison à travers des répliques ("Elle est forte! plus forte que la Chine!" "Elle a Raison!" etc.) et au final, font des compromis l'un sur l'autre pour finir ensemble, plus amoureux que jamais. C'est regrettable que la réplique la plus toxique ("Je ne trouverai plus jamais d'autre copine!" s'exclame Ned quand Dewey lui demande pourquoi il ne la quitte pas) ait été préservée, mais il est clair que les auteurs de cette adaptation ont décidé de corriger le tir. L'ajout de répliques féministes de la part des enfants, et d'un couple de parents homosexuels, bien que joués pour la comédie, sont des signes bienvenus et le public les accueille les bras ouverts.
Et toutes ces choses sont des détails qui font que cette adaptation résonne juste, et nous prouve que Julian Fellowes (Downton Abbey, Half a Sixpence…), auteur du livret, a bien fait ses devoirs. Il n'est pas là pour nous faire une leçon, mais utilise les progrès sociaux de ces quinze dernières années pour nous servir encore plus de répliques cultes et de moments touchants.
Lloyd Webber nous a pondu une bande son qui tient tête à la plupart des comédies musicales Rock du XXIe siècle
Un autre qui a bien fait ses devoirs, c'est Andrew Lloyd Webber. Le compositeur, s'apercevant qu'il ne pouvait obtenir les droits de seulement deux chansons (et demie) a décidé de prendre les rennes et de nous pondre douze chansons originales. "On ne peut pas avoir trois heures de Hard Rock sur scène. Le public finirait par crier au secours! Il nous fallait quelque chose de plus théâtral" nous dit ALW. Et malgré cette promesse, qui se matérialise à travers des chansons douces ou chorales chantés par les enfants ou les profs, Lloyd Webber nous a pondu une bande son qui tient tête à la plupart des comédies musicales Rock du XXIe siècle.
Dans ce cas, la décision de s'inspirer de son passé est payante: ALW revient clairement à ses racines, le Prog Rock, et à ses premiers Rock Opéras tels que Jesus Christ Superstar et surtout son album de 1978: Variations. Telle est la volonté d'Andrew de nous rappeler que c'est un enfant du rock que non seulement il recycle Variations 11-15 pour en faire une des chansons phare du spectacle, "Stick It To The Man", mais il diffuse sur scène, et ceux à deux reprises, Variation 7; un bon moyen de dire ceux qui en doutent que le Rock fut toujours partie intégrante de son travail. Mais Lloyd Webber ne s'inspire pas que de lui même: dans l'excellent "You're In The Band" il insère plusieurs riffs légendaires: Smoke On The Water, Satisfaction… même Mozart se tape l'incruste en beauté! Seul bémol, la chanson Too Hot For You, pastiche de Glam Rock qui tombe à coté et sonne plus comme une mauvaise parodie qu'une satire réussie.
Quand aux chansons plus calmes, là aussi, Andrew Lloyd Webber est dans son élément. les ballades ainsi que les chansons chorales sont très efficaces, font bien avancer l'histoire, et on entend même une influence de nouvelle vague de la Comédie Musicale- pourtant ironiquement créée pour contrecarrer le style imposé par ALW - dans Where Did The Rock Go?
Mais les chansons qui sortent du lot finissent par être celles qui se trouvaient dans le film de 2003- School Of Rock (Zach's Song) et In The End Of Time - se démarquent grâce à leur familiarité bien sûr mais aussi par leur style résolument Rock Classique, éloigné du coté Prog de Lloyd Webber, qui s'avère être une bouffée de frais et d'authenticité. Elles se mêlent parfaitement au reste, et permettent de pousser la musique, déjà très réussie, à la vitesse supérieure.
Le regret c'est que les chansons sont jouées à un volume très raisonnable, et qu'à part le final, on se sent frustrés de ne pas êtres complètement submergé par le son.
Les véritables stars du spectacle sont les enfants
Pas facile de marcher dans les pas -que dis-je- les tranchées laissées par Jack Black. Et pourtant, David Fynn, dans le rôle principal, réussit parfaitement l'ardu compromis qu'est de s'inspirer sans imiter. Il navigue habilement à travers les répliques qui fusent à deux cent à l'heure, court, saute, se ramasse très fort la tronche, tout en restant attachant, et d'une certaine manière, à l'aise. Sa voix semblait fatiguée lors de la représentation, et malgré qu'il ait repris le dessus vers la fin du premier acte, on en vient à penser que c'est un des rares points où Fynn n'arrive pas à égaler Jack Black.
Ici, les bons chanteurs sont plutôt des chanteuses: Florence Andrews dans le rôle de Rosalie et Preeya Kalidas dans le rôle de Patty, ont les meilleures voix du spectacle, et ce malgré leur peu de chansons pour le prouver. Florence Andrews passe de la ballade à l'opéra avec facilité, et à travers un rôle qui pourrait simplement se limiter à "prof coincée", elle réussit néanmoins à démontrer une honnêteté, vulnérabilité mais aussi une force nécessaire à rendre ce personnage attachant, vivant.
Mais les véritables stars du spectacle sont les enfants. Ce sont eux qui portent cette comédie musicale sur leurs épaules à travers leurs chansons, répliques, et leur instruments qu'ils jouent en live. Et ils s'en sortent avec brio. Bien plus que simplement répéter ce que le metteur en scène et le script leur disent de faire, Ils y injectent leur personnalités, leur sens du timing, et tout simplement, leur talent fou.
Il y a quelque chose d'extrêmement satisfaisant de voir ces gamins de onze ans tenir tête aux adultes, les vanner comme des grands et surtout, tout déchirer une fois qu'ils se mettent derrière leurs instruments. Dans certaines scènes, la comédie ne repose que sur eux, et ils s'en donnent à coeur joie! Le courant qui passe entre eux et David Fynn est dans les 100 000 Volts, et quand ils se mettent tous à chanter, danser, et jouer très fort, notre seul souhait est de sauter de haut en bas à l'unisson, comme eux sur scène. Mention spéciale à Oscar Francisco, qui jouait le rôle de Lawrence ce soir là (il y a trois distributions d'enfants qui changent à tour de rôle): non seulement c'est un pro de l'Orgue rock, mais il possède un timing comique et une physicalité à faire pâlir le plus formé des acteurs adultes.
Mettez le tout dans un décor simple, beau et malin, qui utilise parfaitement l'espace, un éclairage qui s'inspire judicieusement des concerts d'arènes de rock, et soutenu par un groupe de musiciens solides, et vous obtenez une recette gagnante, qui nous file la patate de bout en bout.
Foncez-y, vous ne le regretterez pas!
School Of Rock est une comédie musicale pour les familles, pour les rockeurs, pour les fans du film, pour les fans d'Andrew Lloyd Webber et puis au final, les fans de soirées réussies. Foncez-y, vous ne le regretterez pas! (Pour ceux qui n'ont pas un très bon niveau d'anglais, un petit visionnage du film d'origine suffira pour que vous ne soyez pas perdus!)