Ce n'est pas la première adaptation théâtrale du Vent Dans Les Saules sur les planches britanniques et c'est loin d'être la dernière. Mais il y a bien longtemps que le West End a connu une adaptation de cette envergure. Les auteurs-compositeurs Stiles & Drewe, désormais spécialistes de la comédie musicale animale (le vilain petit canard avec Honk!, Le bestiaire magique de Just So ou encore leur récent Trois Petits Cochons) ont refait équipe avec Julian Fellowes, avec qui ils ont travaillé sur l'excellentissime Half A Sixpence, pour nous donner une des plus mignonnes des comédies musicales que le West End ait jamais accueillie.
Dès la scène d'ouverture où l'on découvre les familles d'animaux s'éveiller à la venue du printemps, on sait qu'on est entre de bonnes mains: les costumes évoquent les différentes races animales sans effort, avec une fantaisie mesurée et bon enfant, les décors expressionnistes, tous faits de cercles concentriques sont à la fois impressionnants et idylliques, et les harmonies chantées avec brio par l'ensemble indiquent qu'on va passer une bonne soirée. Et le reste ne déçoit pas.
On suit Taupe (Craig Mather), jeune garçon casanier mais curieux, qui décide de laisser son nettoyage de printemps derrière lui pour allez explorer les alentours. Sur le chemin, il fait la connaissance de Rat (Simon Lipkin), qui l'invite sur son bateau. Le temps d'une chanson, ils sont devenus amis et décident d'aller rendre visite à Monsieur Crapaud (Rufus Hound). Monsieur Crapaud vit dans le plus grand manoir de la forêt, et est un homme passionné qui semble changer de lubie chaque semaine. Et cette semaine, justement, il est tombé amoureux de l'Automobile. Il achète tout les derniers modèles, et les réduit en carcasses presque instantanément, vu qu'il ne respecte jamais les limitations de vitesse. Rat et Taupe deviennent inquiets de ces accidents à répétition, et tentent de convaincre Monsieur Crapaud de trouver une passion un peu moins dangereuse. Rien n'y fait: Monsieur Crapaud ira jusqu'à voler une voiture, et se retrouvera en prison. Pendant ce temps, les Furets et Belettes en profitent pour envahir et squatter le Manoir. Comment Rat et Taupe arriveront ils à sortir leur ami de cette délicate situation?
L'adaptation de Julian Fellowes reste très fidèle au roman d'origine tout en faisant avancer l'intrigue rapidement; trop rapidement des fois, et l'on comprend très vite que ce spectacle suppose que son public est familier avec l'histoire d'origine: on court çà et là entre plusieurs intrigues et le tout est parfois difficile à suivre. Fellowes s'assure que les dialogues soient teintés d'humour et restent légers, malgré sa tendance à tomber dans le gimmick (avec trois spectacles sur le West End en ce moment, on repère facilement ses trucs d'écrivain qu'il semble utiliser à chaque tour) et son inhabileté à moderniser le travail d'origine (un problème qu'on retrouve dans Half A Sixpence, mais beaucoup moins dans School Of Rock).
Les performances sont pour la plupart simples mais honnêtes, et c'est un plaisir de voir tout le monde s'investir dans cet univers animal, en particulier l'Ensemble, formé d'une multitude d'acteurs très talentueux et dont la personnalité déborde bien au-delà du proscenium: entre le club de natation des loutres, les lapins majordomes, les familles de hérissons, ils s'en donnent à cœur joie pour faire vivre, le temps d'une scène, d'une chanson, leur personnages à plein pot. C'est une marque de fabrique des comédies musicales de Stiles & Drewe d'utiliser l'Ensemble pleinement non pas juste comme soutien pour les personnages principaux mais comme personnage à part entière, avec ses propres chansons et intrigues.
Cet usage actif de l'Ensemble prend tout son sens lors des différentes transitions et changements de décor, chaque espèce venant tour à tour chanter une chanson, ce qui nous donne une chance de plonger en détail dans l'univers du roman d'origine, et d'imaginer grâce à une mise en scène détaillée et intelligente comment toutes ces créatures cohabitent.
Niveau personnages principaux, Craig Mather est adorable dans le rôle de Taupe, un héros comme on n'en fait plus, toujours honnête, valeureux et dévoué, à la limite du naïf.
Gary Wilmot nous donne un Blaireau ancien combattant, qui a gardé son autorité militaire et s'en sert à bon escient- malgré qu'il soit l'ainé du groupe Gary Wilmot infuse le rôle d'une vivacité bienvenue, jonglant habilement entre sage et guerrier. Dans le rôle de Monsieur Crapaud, Rufus Hound sort du lot, se pavanant, prenant des poses à toutes vitesse, tout en gardant une classe, un snob non sans rappeler Gary Oldman. Il joue ce personnage égocentrique, flamboyant, insupportable de telle manière qu'il est impossible de détourner le regard. Il commande la scène de bout en bout.
Mais la star de cette comédie musicale ce sont bien les chansons, qui comme d'habitude avec Stiles & Drewe sont pleines de fantaisie et d'esprit. Elle semblent simples, aussi, touchantes, attendrissantes pour certaines, tandis que d'autres nous font bouger, ce qui est sûr c'est qu'elles nous rendent toutes heureux. L'orchestration est très bonne et l'utilisation d'instruments "de campagne" tel que le ukulélé ou le banjo ajoutent une couleur très spéciale à ces numéros déjà bien ciselés. Malgré l'ambiance rurale, Stile & Drewe n'ont pas eu peur cette fois de s'aventurer du coté pop, avec de grandes louches de disco qui s'immiscent dans certains numéros, jusqu'à rendre hommage aux Pet Shop Boys.
Entre les beaux décors et costumes, les chansons qui viennent du cœur, un Ensemble très bien utilisé et des acteurs principaux qui jouent le jeu, le tout sans arrières pensées, tout est là pour composer le spectacle familial idéal. Une poche de douceur théâtrale dans ce monde de Grand Méchants Loups.